Ecrit en 1827

* Victor HUGO   (1802-1885)


I

Je suis triste quand je vois l'homme.

Le vrai décroît dans les esprits.

L'ombre qui jadis noya Rome

Commence à submerger Paris.


Les rois sournois, de peur des crises,

Donnent aux peuples un calmant.

Ils font des boîtes à surprises

Qu'ils appellent charte et serment.


Hélas ! nos anges sont vampires ;

Notre albâtre vaut le charbon ;

Et nos meilleurs seraient les pires

D'un temps qui ne serait pas bon.


Le juste ment, le sage intrigue ;

Notre douceur, triste semblant,

N'est que la peur de la fatigue

Qu'on aurait d'être violent.


La religion sombre emploie

Pour le sang, la guerre et le fer,

Les textes du ciel qu'elle ploie

Au sens monstrueux de l'enfer.


Partout l'or sur la pourriture,

L'idéal en proie aux moqueurs,

Un abaissement de stature

D'accord avec la nuit des coeurs.



II

Mais tourne le dos, ma pensée !

Viens ; les bois sont d'aube empourprés

Sois de la fête ; la rosée

T'a promise à la fleur des prés.


Quitte Paris pour la feuillée.

Une haleine heureuse est dans l'air ;

La vaste joie est réveillée ;

Quelqu'un rit dans le grand ciel clair.






Viens sous l'arbre aux voix étouffées,

Viens dans les taillis pleins d'amou

Où la nuit vont danser les fées

Et les paysannes le jour.


Viens, on t'attend dans la nature.

Les martinets sont revenus ;

L'eau veut te conter l'aventure

Des bas ôtés et des pieds nus.


C'est la grande orgie ingénue

Des nids, des ruisseaux, des forêts,

Des rochers, des fleurs, de la nue ;

La rose a dit que tu viendrais.


Quitte Paris. La plaine est verte ;

Le ciel, cherché des yeux en pleurs,

Au bord de sa fenêtre ouverte

Met avril, ce vase de fleurs.


Je ne comprends plus tes murmures

Et je me déclare content

Puisque voilà les fraises mûres

Et que l'iris sort de l'étang.


III

Fuyons avec celle que j'aime.

Paris trouble l'amour. Fuyons.

Perdons-nous dans l'oubli suprême

Des feuillages et des rayons.


Les bois sont sacrés ; sur leurs cimes

Resplendit le joyeux été ;

Et les forêts sont des abîmes

D'allégresse et de liberté.



Ô solitude, tu m'accueilles

Et tu m'instruis sous le ciel bleu ;

Un petit oiseau sous les feuilles,

Chantant, suffit à prouver Dieu.